L’Art de Donner

Derrière toute grande entreprise se trouve une histoire humaine, et la création de la Fondation de l’art pour la guérison ne fait pas exception.

Par Dorota Kozinska

À sa tête, se trouvent Earl Pinchuk et Gary Blair, deux Montréalais qui en combinant leur sens aigu des affaires et leur grand coeur, ont pu réaliser un rêve.

En 2001, Earl et Gary passèrent beaucoup de temps à l’hôpital Royal Victoria, au chevet d’un ami malade. Et au cours de leurs fréquentes visites, ils ne pouvaient s’empêcher de remarquer la nudité du décor. Ils furent frappés par ce manque de stimulus visuel qui ajoutait à la tristesse des lieux et affectait tous, patients, personnel et visiteurs, sans oublier leur ami mourant, lui-même artiste.

À peu près au même moment, Earl organisait une exposition d’art avec Dorota Kozinska, une écrivaine et critique littéraire montréalaise. Ensemble, ils avaient visité plusieurs studios d’artistes et galeries d’art et Earl remarqua bon nombre d’oeuvres d’art jamais exposées et que personne ne pouvait admirer. Après leur collaboration, Earl demeura dans le milieu de l’art, offrant ses services à la Galerie d’Avignon où l’exposition avait eu lieu.

Une exposition en particulier avait attiré son attention: une série de paysages colorés de l’artiste montréalais Catherine Bates. Malgré de nombreux visiteurs, le chiffre d’affaires était affecté par le climat économique de l’après-11 septembre et la plupart des oeuvres retournèrent au studio de l’artiste. En voyant toutes ces merveilleuses toiles transportées vers le camion, Earl avait l’impression d’assister à des funérailles. « Non désirées et non appréciées étaient » les mots qui lui venaient à l’esprit.

Ce soir-là, il discuta avec Gary de ces oeuvres non désirées et non appréciées et probablement, à ce moment précis, la Fondation voyait le jour. De longues discussions eurent lieu entre Earl et Gary, au cours desquelles la logistique pour trouver un moyen de rendre l’art accessible au public commença à prendre forme. Leurs récentes visites à leur ami mourant à l’Hôpital Royal Victoria encore fraîches dans leur mémoire, ils savaient que les hôpitaux seraient les endroits publics sur lesquels ils allaient se concentrer. Des images de paysages splendides de Bates décorant le lobby de l’hôpital Royal Victoria leur vinrent instantanément à l’esprit, de même que multitude d’autres possibilités d’aider et les artistes et les malades.

Comme toute entreprise de cette envergure, le soutien du public était vraiment nécessaire. Et bientôt, l’occasion se présenta, au 40e anniversaire d’Earl, organisé par Gary et Earl, avec toute la grandeur qu’un tel événement demandait. La centaine d’invités furent introduis à l’idée d’une fondation dont le but serait d’amener les arts visuels aux lieux de guérison. Plutôt que d’offrir des cadeaux, des donations furent encouragées. Les gens répondirent à l’appel, et 8000$ furent amassés lors de cette soirée.

Avant de tout dépenser en achat de toiles, les deux fondateurs décidèrent sagement detester leur idée dans leur entourage. De retour dans l’entreprise familiale après un an passé à étudier les rouages du marché instable de l’art, Earl avec l’aide de Gary entreprit d’égayer son décor en plaçant plusieurs reproductions dans l’édifice. Du jour au lendemain, des reproductions de Mark Rothko, Andy Warhol et Lawren Harris apparurent sur les murs, au grand plaisir des employé(e)s. Le projet était tout simplement une réussite totale.

Galvanisés, Earl et Gary optèrent de placer plusieurs reproductions artistiques dans un hôpital, plutôt que de dépenser une fortune sur une ou deux toiles originales. Pour amplifier leur résultat, ils entreprirent de tester diverses institutions.

Hôpital de Montréal pour Enfants, la plus vulnérable selon eux, les intéressait particulièrement et ils n’eurent aucun mal à convaincre l’administration du bien-fondé de leur projet. Depuis janvier 2003, des reproductions se retrouvent un peu partout dans l’hôpital. Le service d’architecture de l’Hôpital de Montréal pour Enfants, responsable de la rénovation et de la remise à neuf du complexe, est maintenant en mesure d’incorporer les oeuvres fournies par la Fondation au plan des ailes nouvellement complétées. La mission secondaire de la Fondation étant l’éducation artistique, dans certains cas, un regroupement d’oeuvres d’un peintre (une galerie) est installé, complétée par une courte biographie sur l’artiste.

Lors de leur premier projet à l’Hôpital de Montréal pour Enfants, Earl & Gary découvrirent six enfants, obligés de résider à l’hôpital, à temps plein dans des chambres privées, à cause de leur maladie ou de circonstances particulières. Ces enfants ont eu l’occasion de décorer leur « appartement » avec une toile de leur choix, choisissant à partir de plusieurs centaines d’Suvres. Fait non surprenant, tous, à une exception près, ont choisi des scènes vivantes, de grand air, absentes de leur univers quotidien. Ces images seront, peut-être,une source d’espoir et d’inspiration.

Depuis 2002, la Fondation a installé plus de 14 500 œuvres d’art dans 102 établissements de soins de santé au Canada, en France, en Angleterre et au Nunavik.

Il n’y a aucun doute sur les effets bénéfiques de l’art et des projets tels que la Fondation de l’art pour la guérison ne sont qu’une ramification naturelle d’un mouvement grandissant, visant à incorporer l’art dans la vie de tous les jours. Dans l’univers difficile de la maladie et de la souffrance, les effets calmants de l’art sont encore plus appréciés. Il suffit de peu pour toucher quelqu’un, les faire sourire et apaiser leur douleur; l’art de donner.